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Jean-Baptiste Baronian's Brautigan interview - French
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Loufoque, Brautigan?

Jean-Baptiste Baronian?

Cet Américain aime boire, manger, pêcher, faire l'amour. Et il le dit dans ses livres. En fait, c'est un classique.

D'abord, il y a cette image: un homme de haute taille, vêtu comme un cow-boy des temps modernes, coiffé d'un curieux chapeau qu'on verrait volontiers sur la tête d'un Indien. On l'a vu sur la couverture des premiers livres de Richard Brautigan parus en français (Christian Bourgois) et on a peut-être idéalisé le personnage. D'autant que ceux-ci ont été publiés à une époque où, dans l'histoire des lettres américaines, le haut de la fiction et de la poésie était tenu par des auteurs appartenant à la beat generation. On a alors vite fait d'y assimiler Richard Brautigan (né en 1935 dans l'État de Washington).

C'était sans l'avoir lu en profondeur, sans avoir compris que ce qu'il écrivait traduisait plutôt une vision comprimée de l'histoire, dans laquelle le temps n'offre aucune épaisseur, si ce n'est aucune réalité. Si, théoriquement, le temps constitue un des thèmes principaux de ses oeuvres, techniquement il est plutôt aboli. Ou, pour être plus exact, il est annihilé par l'écriture, laquelle est une sorte de ressassement perpétuel et cultive à l'envi la répétition et la redondance. Au fond, elle procède de façon cyclique, comme on peut encore le constater dans son dernier roman, Mémoires sauvés du vent, où les mots du titre reviennent à plusieurs reprises tout au long du récit, à l'instar d'un refrain lancinant, et forment ainsi, des points de jonction, à la fois terme d'une période de la narration et lieu de départ d'une autre, toute nouvelle, prête à s'épanouir.

Il en va de même dans Un privé à Babylone où le héros repense à tout moment aux mêmes choses - à téléphoner à sa mère, à acheter une arme automatique, à payer son loyer - et n'arrête pas de rêver à Babylone (dans la tradition puritaine, le nom de New York), cité mi-absurde, mi-réelle où, croit-il, son véritable destin devrait s'accomplir. Et, de la sorte, en déambulant de gauche a droite, il enquête essentiellement sur lui-même, sur ses phantasmes et, surtout, sur les raisons qui rendent sa vie de privé si terne et tellement immobile.

Loufoque, Brautigan, comme certains l'ont prétendu? Ce serait le lire à fleur de page. Bien sûr, il aime l'humour et, parfois. la dérision mais on est tout de même frappé par le fait qu'il n'utilise jamais ces ingrédients à des fins destructives, qu'il ne cherche jamais à se moquer de l'"american way of life". Son imaginaire est, au vrai bon enfant - et son art s'exprime dans la décontraction la plus saine, même si son propos n'exclut ni la gravité (par exemple la fascination de la mort) ni l'émerveillement. C'est que Richard Brautigan est un inventeur d'histoires, fussent des fausses histoires, fussent des histoires qui pétrifieraient les histoires. C'est qu'il est aussi un enchanteur. D'où son succès, un peu partout dans le monde et, plus singulièrement, au Japon où ses livres touchent d'innombrables lecteurs. En France va-t-on enfin également lui faire la fête?

"L'être nom, dans les pays francophones, est surtout lié au roman et à la nouvelle. Mais vous êtes aussi poète et, il n'y a pas longtemps, vous avez publié un recueil où vous avez adopté l'esthétique du haiku. Est-ce là un nouveau virage pour vous ?

- Nullement. Mon premier livre était déjà un recueil de poèmes. Je l'ai publié à l'âge de vingt-trois ans. J'étais alors très influencé par les poètes français, par Baudelaire principalement. Et je ne nie pas que j'ai une grande dette envers Rimbaud?, Laforgue, Breton? et Michaux. Ils m'ont aussi donné le goût de lire la prose française. J'ai été fort frappé par L'Immoraliste de Gide? et La Nausée de Sartre?. Et puis Vol de nuit de Saint-Exupéry que je considère comme un des romans les plus parfaits jamais écrits... Ce n'est qu'après que j'ai vraiment lu la littérature américaine: Stephen Crane, Mark Twain?, Ambrose Bierce, Emily Dickinson?... Un des romans qui m'a le plus frappé, c'est Tandis que j'agonise de Faulkner. Rarement, on a, avec autant de bonheur, combiné le contenu et la structure d'un récit. C'est du reste pareil pour Gatsby...

Vous ne citez que des auteurs classiques ?

- Mais je suis un classique!

Malgré votre goût pour la parodie ?

- Il n'y a pas de parodie dans mes livres. Je ne crois pas à la parodie. En revanche, j'aime le jeu, j'aime jouer. Ce que j'écris est ludique et, quand on est ludique, on est forcément attiré par l'humour... Et puis j'aime la vie, toute la vie, j'aime boire, j'aime manger, j'aime pêcher, j'aime faire l'amour et, tout cela, je le dis dans mes livres. Comment peut-on parler de parodie?

Je songeais à ce passage de Mémoires sauvés du vent où vous décrivez comiquement les hamburgers. Pour moi, c'est de la parodie.

- Vous trouvez? Il n'y a qu'une chose dans mes livres: de la fiction. Tout est fiction. C'est dans la fiction - et uniquement dans la fiction - que se réalisent et s'accomplissent les plus grandes expériences humaines. Oui, mes fictions sont parfois minimalistes, mais elles restent toujours de la fiction!

Même quand vous vous en prenez au mythe américain ?

- C'est votre vision, ce n'est pas la mienne. Vous savez, mon expérience, elle est américaine. Moi, je ne comprends pas votre expression. Nous aussi, lorsque nous regardons la France, nous pensons y trouver des mythes, mais je suis persuadé qu'il s'agit d'une vue de l'esprit. Le mythe, s'il existe, c'est celui du langage, de la littérature, de l'histoire de la littérature.

Je me permets d'insister. On ne peut pas comprendre Un privé à Babylone autrement qu'à travers les mythes qu'il véhicule.

- C'est un livre que j'ai écrit après avoir vu de très nombreux films noirs. Mais, pour moi, ce n'est pas un roman noir. Je préfère qu'on dise: «roman gothique». Le gothique me passionne car c'est un domaine où, justement, la fiction est totale. L'exemple le plus séduisant, c'est Frankenstein de Mary Shelley. Lorsque je me suis mis au Monstre des Hawkline, je n'avais qu'une idée en tête: faire gothique. Je l'ai fait au travers d'un western et j'ai essayé de montrer que le western et le gothique étaient des domaines qui nécessairement s'affrontaient. Même dans la littérature policière, mes préférences vont à des oeuvres dites classiques, entre autres les contes de Poe et le roman de Conan Doyle, Le Chien des Baskerville, un livre que j'adore!

Et vos méthodes de travail? Elles sont également classiques ?

- Peut-être. J'essaie d'écrire tous les jours. D'abord, il importe que je prenne la température, ma température, et selon ce qu'elle marque j'écris une nouvelle ou me lance dans un roman. En fait, j'arrive à rédiger quinze pages par semaine... Mais ce qui est important, c'est de garder la température, de faire en sorte qu'elle soit toujours très élevée. C'est donc une discipline constante...

Et vous pensez à vos futurs lecteurs ?

- Jamais. Mais j'ai la chance de savoir qu'ils s'intéressent à moi. Je sais ce qu'ils veulent: de l'imagination. J'essaie, à partir de mes propres expériences, de leur en donner. C'est dire que je les respecte. Sans eux, qu'est-ce que je serais? Un écrivain, c'est un agent d'émotion. A ma manière, je leur procure l'émotion.


Magazine Littéraire?
May 1983



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