Loading...
 
Print
Français

Réédition: Brautigan, le poète déjanté

Par Christine Ferniot (Lire) (Lire), publié le 01/11/2004

Vingt ans après, le cadavre de ce franc-tireur bouge encore. Réédition de ses livres en 10/18.


Quand les amis et lecteurs de Richard Brautigan apprennent la nouvelle de sa mort en octobre 1984, tous sont persuadés que l'alcool a fini par l'avoir. Depuis de nombreuses années, le brandy, le whisky, le calvados ont attaqué l'écrivain, rongé son corps et son cerveau. En vérité, Brautigan s'est suicidé avec un 44 Magnum et son corps n'a été découvert que quelques jours plus tard. Celui qui a fait exploser la littérature américaine dans les années 1970, l'électron libre de la beat generation, vient de disparaître seul et oublié.

C'est La pêche à la truite en Amérique qui révèle Brautigan au grand public lorsqu'il vient en lire des extraits au cours du festival pop de Monterey en 1967. Il écrit depuis plus de dix ans, mais ses tirages sont restés confidentiels et ses lecteurs marginaux. D'un seul coup, entre deux rock stars, Brautigan éblouit un public venu pour tout autre chose que ses histoires de truites bossues, de tigre mathématicien ou de reine du pudding. Exemples: "Exprimant ainsi un besoin humain, j'ai toujours voulu écrire un livre qui s'achèverait sur le mot "mayonnaise"." Ou encore: "Nous sommes rentrés à Pensemort à pied, en nous donnant la main. Les mains, c'est très gentil, surtout quand elles reviennent de faire l'amour." Le succès est immédiat. Le poète méconnu se vend par millions d'exemplaires, devenant le symbole de la génération hippie. On voit en lui un nouveau surréaliste qui raconte l'Amérique à travers des aventures minuscules, faussement naïves, entre grosse tristesse et divine absurdité. Durant dix ans, l'écrivain est célébré comme un auteur culte avant de tomber dans l'ombre. Cet autodidacte est un lecteur boulimique qui s'entoure d'amis cultivés comme Jim Harrison ou Thomas McGuane qui dit de lui: "Ses dialogues sont d'une exactitude surnaturelle; la concision de ses descriptions véhicule à la perfection ses perceptions d'un comique extraordinaire."

En France, c'est Un privé à Babylone qui fait mieux connaître Brautigan, même si l'éditeur Christian Bourgois publie dès les années 1970 ses premiers livres, créant un club de passionnés autour de l'écrivain. Après avoir démantibulé le western dans Le monstre des Hawkline, parodié le récit militaire à en donner de l'urticaire à George Bush dans Le général sudiste de Big-Sur, il s'attaque au polar avec un privé vraiment minable. Le genre de détective qui possède un revolver non chargé: "Des balles, je ne pouvais trouver nulle part de l'argent pour m'en acheter; alors j'ai décidé d'aller là où il y en a toujours: dans un commissariat de police." En outre, cet antihéros rêve de Babylone et de ses jardins suspendus, dès qu'il a une minute à perdre. Le public français prend le mythe Brautigan de plein fouet, épaté par sa folie douce, ses fantaisies verbales, ses métaphores désenchantées. Et tandis que l'Amérique le traite avec de plus en plus d'indifférence, le rangeant - lui l'inclassable - dans la beat generation pour mieux le négliger, les lecteurs français et japonais célèbrent ses textes courts. "Quand on aime Brautigan, ce n'est jamais vaguement", écrit Philippe Jaenada. Aujourd'hui, vingt ans après sa mort, l'écrivain est une nouvelle fois réédité en poche 10/18. Une occasion pour le jeune public de le découvrir et d'entrer dans la société secrète de ses fans. On les envie! Ils vont pénétrer dans un univers parallèle: une apparente naïveté qui prend le mot et le triture "au pied de la lettre". Derrière les petits riens de l'existence, derrière la folie des rêves, Brautigan nous dessine un monde poétique et dérisoire, avec des enfants qui préfèrent se cacher dans les arbres pour pleurer.

Sucre de pastèque. Le général sudiste de Big-Sur. La vengeance de la pelouse. Le monstre des Hawkline. Un privé à Babylone. Tokyo-Montana Express
Tous ces titres sont réédités en 10/18.

Online source: http://www.lexpress.fr/culture/livre/brautigan-le-poete-dejante_809555.html?xtmc=Brautigan&xtcr=2(external link)